L’offre de négociation dans le cadre de la procédure civile anglaise

L’OFFRE DE NEGOCIATION DANS LE CADRE DE LA PROCEDURE CIVILE ANGLAISE

Introduction

En droit anglais (et gallois), l’offre de négociation ne relève pas que du choix des parties, ou du moins ce choix est éclairé par le Civil Procedure Rules (CPR) en sa Section 36 intitulée Offers to settle.[1]

Aux trois questions qui structurent l’offre de négociation : à qui faire l’offre ? quand ? comment ? le CPR apporte plus que des réponses. Il incite fortement les parties en conflit, désireuses peut-être encore d’en découdre plutôt que de négocier, de réfléchir sur les conséquences financières de leur acceptation ou refus d’une offre de négociation.

  1. L’offre de négociation

Moins de 2% des conflits civils font l’objet d’un jugement en Angleterre. Diverses raisons expliquent cet extraordinaire faible pourcentage. L’une d’elles – et non la moindre – est le fait que la majorité des procès donnent lieu à négociation avant le début ou la fin du procès.

Negotiated settlements et CPR Part 36.

Dans la procédure civile anglaise actuelle, il existe deux voies de règlement amiable des conflits :

  • la voie traditionnelle, dite negotiated settlements, qui ne se réfère nullement à la Section 36 du CPR. Un règlement par ce biais est censé être without prejudice. Aucune partie ne peut évoquer son contenu devant un tribunal si le conflit rebondit , à moins que les deux parties y consentent. Cette règle vise à encourager les parties en conflit à négocier autant que possible.
  • la voie formelle, renvoyant à la Section 36 du CPR.

Le choix entre ces deux approches relève de considérations pratiques et tactiques.

CPR Part 36

L’intérêt de cette Section est d’instituer un régime pénalisant les parties en conflit à ne pas rejeter inconsidérément une offre raisonnable de négociation. Un refus injustifié emporte la prise en charge de tous les risques du procès.

En principe,

  1. Le demandeur (claimant) est à même de faire une offre de règlement amiable au défendeur en lui signifiant ce qu’il est prêt à accepter à titre de dédommagement. Comme dans l’approche traditionnelle du negotiated settlement, cette offre de négociation peut se faire prior to the issue of proceedings ou once proceedings have been issued , mais, à la différence de l’approche traditionnelle, qui peut être conduite oralement ou par écrit, la Section 36 du CPR oblige à recourir à l’écrit.
  2. Le défendeur (defendant) est en droit également de formuler le même type d’offre. Depuis le 6 avril 2007, il n’y a plus d’obligation d’assortir cette offre d’un paiement into court pour que celle-ci ait un effet juridique (to make a binfing offer under CPR Part 36).[2]

Dans les deux cas, le délai d’expiration de l’offre est de 21 jours. En conséquence, after the commencement of proceedings, l’offre doit être faite au moins 21 jours avant le début du procès.

  1. CPR Part 36 strategy

Ce genre d’expression est communément utilisée par les praticiens du droit outre-manche, car l’offre de négociation d’une partie et son acceptation ou refus par l’autre partie est bel et bien ressentie comme une question de tactique et de contre-tactique  tant les conséquences financières peuvent être lourdes pour la partie qui a mal calculé son coup.

Claimant’s offer to settle

Les costs consequences d’une offre du demandeur ne sont en rien mécaniques. Elles dépendent de l’anticipation par le demandeur de la réaction du défendeur, du réalisme de l’offre et de la réaction effective de celui-ci. Elles dépendent aussi de la décision du tribunal. C’est dire si un jeu est possible et qu’il convient de savoir joueur.

Deux situations se présentent selon que l’offre du demandeur est acceptée ou non.

  • Si l’offre du demandeur est acceptée, l’instance est suspendue (the action is stayed) et le défendeur se verra ordonner de payer le montant de l’offre, augmenté des coûts du procès (legal costs) du demandeur on the standard basis.[3] Le défendeur devra prendre en charge également ses propres coûts.
  • Si l’offre du demandeur est rejetée, les conséquences varient suivant la décision du tribunal :

1. si le tribunal fait droit à la demande et si le dédommagement accordé par le tribunal est supérieur à celui de l’offre du demandeur, le tribunal ordonnera au défendeur d’acquitter les dommages-intérêts arrêtés (damages) ainsi que les coûts du procès du demandeur en sus des siens.

En outre, si le tribunal le juge bon (if it is considers just to do so), le défendeur se verra infligé une penalty pour n’avoir pas accepté l’offre de négociation du demandeur.

Une telle sanction prendra la forme

  • du paiement d’un intérêt sur le montant des dommages-intérêts pouvant aller jusqu’à 10% au-dessus du taux de base en vigueur ;
  • et/ou du paiement d’un intérêt sur les coûts du procès allant également jusqu’à 10% au-dessus du taux de base en vigueur ;
  • et/ou du paiement des coûts du procès on the indemnity basis. [4]

Tous ces éléments, pouvant composer la penalty, seront calculés à partir de la date limite jusqu’à laquelle le défendeur aurait pu accepter l’offre (soit 21 jours après la formulation de l’offre du demandeur).

2. si le montant accordé par le tribunal est égal ou inférieur à l’offre du demandeur, il n’y aura, à l’encontre du défendeur, aucune des adverse costs consequences listées en a). Le défendeur devra payer les dommages-intérêts arrêtés ainsi que les coûts du procès du demandeur on the standard basis.

Prenons un exemple simple pour illustrer toutes ces conséquences alternatives.

Soit un contrat conclu entre un grand producteur de boissons et un de ses fournisseurs. Le producteur se plaint auprès du fournisseur en question de la défectuosité d’un ingrédient entrant dans la composition de ses boissons. Dans le cadre d’une tentative de règlement amiable placé sous les auspices du CPR Part 36, le producteur présente une offre de négociation au fournisseur en lui demandant un dédommagement de 500.000 £.

Ce faisant, le producteur, en tant que demandeur, exerce une pression sur le fournisseur pour négocier car ce dernier pourrait faire face à de redoutables conséquences financières s’il refusait et s’il perdait. La pression sera d’autant forte que l’offre de négociation sera faite tôt attendu que, dans ce cas, plus longue sera la période sur laquelle pourront être calculés les bonus interests et indeminity costs.

Le fournisseur a 21 jours pour relever l’offre du fournisseur. Le choix est clair, à défaut de prédire exactement ce qu’il entraîne :

  • s’il accepte l’offre du producteur, aucune assignation ne lui sera délivrée et le producteur sera dédommagée de la somme réclamée ;
  • s’il rejette l’offre, le dénouement dépend de la décision du tribunal :
  • si le juge reconnaît le bien-fondé de la demande du producteur et condamne en conséquence le fournisseur au paiement d’une somme de 750.000 £, soit une somme supérieure à l’offre de négociation de 500.000 £, le fournisseur se verra condamné à 750.000 £, augmentée de la penalty redoutée (soient les deux types d’intérêts punitifs, ainsi que les coûts du procès calculés sur une base indemnitaire et sur une période de référence plus ou moins longue selon que l’offre a été présentée très en amont ou non) ;
  • si le tribunal condamne le fournisseur à la somme de 350.000 £, c’est-à-dire à une somme inférieure à l’offre de négociation, celui-ci n’aura à acquitter que la somme indiquée dans le dispositif du jugement et ses propres coûts du procès.

Defendant’s offer to settle

Pour tenter d’échapper à la pression du demandeur dans le cadre même CPR Part 36, le défendeur peut prendre les devants et s’engager à dédommager le demandeur. L’intérêt de cette démarche est de pouvoir estimer soi-même le montant  à verser et d’exercer à l’envers une pression sur le demandeur.

Deux cas se présentent à nouveau :

  • si l’offre du défendeur est acceptée par le demandeur dans les 21 jours, le défendeur honorera son engagement de payer et assumera les coûts du procès du demander on the standard basis. ;
  • si l’offre du fournisseur est rejetée par le demandeur dans les 21 jours, les conséquences financières dépendent, là encore, du montant des dommages-intérêts octroyés par le tribunal :
  • si le demandeur obtient mieux que l’offre du défendeur, le demandeur ne fera face à aucune des specific costs consequences. Le défendeur sera condamné à payer les dommages-intérêts ordonnés par le juge ainsi que les coûts du procès du demandeur on the standard basis. On retrouve ici en symétrique la solution correspondant à la situation : offre de négociation émanant du demandeur, rejet du défendeur, et montant alloué par le tribunal supérieur à l’offre initiale.
  • si le demandeur n’obtient pas mieux que l’offre du défendeur (does not beat the payment in the court), le tribunal sera enclin à partager les coûts du procès en deux (may make a split costs order unless it considers unjust to do so). Outre le fait qu’il sera condamné à payer les dommages-intérêts arrêtés, le défendeur devra payer les coûts du procès du demandeur jusqu’à la dernière date d’acceptation où l’offre aurait pu être acceptée. Quant au demandeur, en sus de recevoir les dommages-intérêts alloués, il se verra ordonner par le juge de prendre en charge les coûts du procès du défendeur à partir du jour suivant la date d’expiration de l’offre jusqu’au procès. Comme cette dernière phase est celle qui engage le plus de dépenses, la partie du jugement relative aux coûts pénalise en réalité le demandeur même si celui-ci a gagné finalement au fond. Le tribunal le sanctionne pour n’avoir pas accepté une offre de négociation raisonnable qui émanait du défendeur.

Claimant’s counter offer to settle

Un demandeur qui doit faire face à l’engagement d’un défendeur de le dédommager à l’amiable peut ne pas apprécier d’être mis au pied du mur par celui par qui, à ses yeux, le mal est arrivé ! Outre le dommage qu’il a subi, il peut avoir le sentiment d’être manipulé par le défendeur qui, en prenant l’initiative de négocier, l’amène à assumer les conséquences financières de ne pas donner suite dans les 21 jours. C’est sans doute trop supporter pour le demandeur, mais le CPR Part 36 n‘a pas exclu la possibilité pour ce dernier to make a counter offer, renvoyant ainsi sur le défendeur la pression exercée par l’offre de négociation (thereby putting cost pressure back onto the defendnt). A son tour, le défendeur a 21 jours pour accepter ou rejeter la contre-offre du demandeur.

Supposons, par exemple, que le défendeur en premier offre en réparation d’un dommage cause dont il se sent responsable la somme de 75,000 £. Supposons également que le demandeur fasse une contre-offre  de 115,000 £. Plusieurs cas de figure sont envisageables :

  1. Le tribunal fixe à 100,000 £ (intérêts compris) le montant des dommages-intérêts. Cette somme est supérieure au montant de l’offre du défendeur (75,000 £) mais inférieure à celui de la contre-offre du demandeur (115,000£). Dans ce cas, la tactique du défendeur, contrée par celle du demandeur, a échoué. Aucune penalty ne frappe le demandeur mais le défendeur n’est pas non plus sévèrement sanctionné. Neither tactic has worked. Le demandeur obtient la somme arrêtée par le tribunal (100,000 £). Le défendeur acquittera ladite somme et prendra en charge les coûts du procès du demandeur on the standard basis (i.e. costs reasonably and proportionaly incurred).
  2. Cette somme est inférieure, non seulement au montant de la contre-offre du demandeur, mais aussi à celui de l’offre du défendeur. Le demandeur is awarded 50,000£, mais a split costs order partagera les coûts du procès  Le demandeur payera les coûts encourus on the standard basis à compter du jour suivant le 21e jour à partir de la réception de l’offre du défendeur jusqu’au procès. Comme le montant de ces coûts seront probablement supérieurs à ceux encourus sur la même base par le défendeur jusqu’au 21e jour inclus, la différence viendra en déduction des dommages-intérêts de 50,000£ accordés au demandeur (the claimant will have to pay the balance out of £ 50,000 damages).
  3. Le tribunal fixe à 135,000 £ (intérêts compris) le montant des dommages-intérêts. La tactique de contre-offre du demandeur est ici payante. Non seulement il obtiendra la somme arrêtée, mais cette fois la tactical step to counter the defendant’s offer a pleinement pour effet de retourner la pression sur le défendeur redevenu the offeree après avoir tenté d’être le premier the offeror. Calculée sur une période allant de l’expiration de la contre-offre de 21 jours jusqu’au procès, le défendeur aura à assumer, en sus des coûts du procès du demandeur on the indemnity basis, les bonus interests (interest on the damages received, i.e. £135,000, at not more than 10% above base rate, and interest on the claimant’s costs of up to 10% above base rate). Ces intérêts punitifs ne doivent pas être confondus avec l’intérêt usuel qui vient s’ajouter au montant des dommages-intérêts from the cause of action si le tribunal le juge bon.

Tels sont les résultats étonnants, et réellement dissuasifs, du CPR Part 36 qui encouragent les parties à prendre au sérieux toute offre de négociation au plus en amont du procès. Il y a lieu de réfléchir à deux fois si on n’entend nullement négocier.

Une fois l’offre de négociation éventuellement formulée, les nouvelles règles du CPR Part 36 empêchent que l’offre soit retirée avant le délai d’expiration sans que le tribunal donne son accord. Celui qui est familier de la common law anglaise y verra une exception au droit des contrats dans le cadre duquel il est possible de retirer son offre avant qu’elle soit acceptée.

Une fois que l’offre est éventuellement acceptée, le règlement doit être effectué dans les 14 jours d’acceptation de l’offre, ou de l’ordonnance du tribunal, à moins que les parties conviennent d’une plus longue durée d’un commun accord.

Conclusion

Au terme de cette brève étude, le praticien français pourrait avoir l’impression que le CPR Part 36 constitue un ensemble fortement contraignant pour des parties qui entendent négocier comme elles l’entendent. Qu’on ne se trompe pas : les parties demeurent libres d’aller au procès, mais elles ne doivent pas abuser de cette possibilité pour décliner toute offre de négociation qui serait raisonnable.

Le CPR Part 36 s’inscrit dans la ligne de la réforme Woolf de la procédure civile anglaise mise en œuvre à partir des années 1990. L’objectif majeur de cette réforme, tel que rappelé dans le CPR Part 1(Overriding objective), était de permettre aux tribunaux de mieux contrôler le cours de la justice qui passait pour trop expensive, protacted and controlled by lawyers. Il suffit de voir comment aujourd’hui s’enchaînent rigoureusement, dans des formulaires et des délais précis, les différentes étapes du procès (letter of claim, claim form, particulars of claim, defence and/or counterclaim, reply and/or defence to counterclaim, sans parler des pre-action protocols selon la matière en cause, etc.) Même la communication des pièces (disclosure)  fait l’objet d’une réglementation précise qui évite les dérives de la discovery américaine, d’autant que devant les tribunaux anglais pèsent sur les avocats l’obligation de produire, parmi les pièces, celles qui s’avèrent aller jusqu’à l’encontre de leurs clients (adversely affect their own case) …

En avant de la conduite du procès, le CPR a entendu également régler de façon efficace la  conduite de la négociation. Le CPR Part 36 offre un cadre contraignant et protecteur pour la partie de bonne composition qui n’a pas à souffrir à l’excès de la mauvaise foi ou de manœuvres dilatoires. Si la stratégie de négociation  (settlement strategy) demeure l’apanage des parties, le CPR Part 36 est là pour leur rappeler les risques et les coûts d’un refus injustifié ou tardif pour régler à l’amiable leur conflit.

Une telle approche peut assurément servir de guide pour aider et mieux développer l’offre de négociation en France. Des procédures contraignantes équivalentes auraient un effet non moins heureux pour les parties civiles trop victimes des chicaneurs ainsi que le décrivait non sans humour Racine au XVIIe siècle. Une réforme en ce sens pourrait être aussi l’occasion d’élargir l’offre de négociation à toute forme de demande, d’autant que nombre de dossiers comportent un aspect multidimensionnel qui ne saurait se réduire au simple paiement de dommages-intérêts. Si le besoin d’une tierce personne se fait sentir, une telle offre pourrait être celle d’une médiation, tant cette procédure se révèle aussi rapide et moins coûteuse.

[1] Le CPR comporte 76 Parts. Chaque Part est décomposée en Rules.

[2] The Civil Procedure Rules (Ammendment N°3) 2006.

[3] On the standard basis signifie que les coûts pris en compte doivent être reasonable quant à leur nature et à leur montant. Cependant, ils peuvent être proportionnels à la matière en cause et au montant de la demande. Un recours est possible. Les legal costs sont les coûts générés par la communication des pièces (disclosure), la sollicitation des témoins et des experts et les trial costs (honoraires des solicitors et/ou barristers, etc.)

[4] On the indemnity basis. Cette expression recoupe celle de standard basis si on en ôte l’aspect proportionnel.